Né à Saint-Louis en 1885, il était le second fils d’El Hadji Malick SY et de Sokhna Rokhaya Ndiaye. Il succède à son père le jour même du décès de celui-ci : le 27 juin 1922 et est le premier au Sénégal à avoir porté́ le titre de Khalife Général des Tidianes. Il était âgé seulement de 37ans, à son accès au Khalifat. Son autorité est reconnue par tous les Moukhaddam qui voient surtout, en sa personne l’héritier de la Baraka du vénéré El Hadj Malick. Élevé́ dans un milieu essentiellement religieux, ses études basées sur une foi naturelle et spontanée, en feront une fin lettrée, d’esprit ouvert et tolérant, mais aussi un croyant fervent, convaincu du caractère spirituel de sa mission de chef de confrérie islamique. Guidé par sa droiture, il a su, par sa sincérité́ et sa foi, se forger un destin de meneur d’hommes. Il a été le premier à créer les”dahira”, ces clubs mystiques où se forment les adeptes de la religion. Il a toujours défendu, avec énergie et dévouement, trois choses : l’islam, la tarikha et les dahiras. Serigne Babacar SY laissera le souvenir d’un grand savant mystique, à la probité́ et à la rigueur morale irréprochables. Il décède à Tivaouane le 25 mars 1957.
L’homme a tellement incarné le califat dans toute sa splendeur mais aussi la responsabilité et la charge symbolique qui le caractérise qu’il est permis de taire son nom en l’appelant par son titre Cheikhal-Khalifa ! Lorsqu’un titre finit, ainsi, par absorber un nom, c’est qu’il y a une parfaite incarnation du rôle et du statut.
Entre sa naissance en 1885 à sa disparition le 25 mars 1957, l’homme, lui-même, se dit n’avoir jamais s’être contredit ou trahir le sacerdoce. Cela ne suffirait-il pas comme leçon de vie et viatique pour toute quête de valeurs hors du communs ? C’est peut-être pour cela, aussi, que Serigne Alioune Guèye place son califat dans l’ordre naturel et logique des choses (walâghra wafîirthil walîdibi wâlidin…) en insistant, dans son dâliya (poème avec rime en «d») sur les qualités de l’homme de Dieu au-delà d’une filiation jamais considérée comme la source de ses propres dons divins (mawâhib). Il était, en fait, ce ‘AbûBakr de l’an 632 qui, en plein désarroi d’une communauté tourmentée par la disparition de la meilleure des créatures, remit les esprits dans des êtres perdues imaginant à tort le chaos.
La présence physique de Serigne Babacar SY était te le mentrassurante que les générations successives qui ne l’ont pas connu en font pourtant leur modèle spirituel. C’est qu’il incarne réellement ce modèle parfait qu’il soit rêvé́ ou idéalisé́ dont on puise les valeurs les plus significatives pour disciple d’Al-Tijânî. Ce sont celles-là̀, d’ailleurs, que Cheikhal-Khalifa
choisira pour composer son célèbre panégyrique (‘Ammat Mazâyâhu) où il vante les mérites de ShaykhunâTijânî.
Pour Serigne Babacar SY, Sîdî Ahmad Tijânî est celui qui, sans enfermer ses disciples dans le reclus, l’ascétisme et les retraites (Khalwa) est parvenu à leur assurer la Tarbiya (l’éducation spirituelle), tout en réussissant le pari de l’Istiqâma (la droiture) « rabbâbilâ khalwatin ashâbahû alanan Hata-staqâmû fayâlilahi manhâhu). Mais, au-delà̀, aussi, de cet émerveillement face aux vertus inédites du fondateur de la Tijâniyya dont il demeurera l’un des plus illustres défenseurs, Serigne Babacar nous dévoile un des aspects de sa propre philosophie.
Il est, en effet, cet homme de l’équilibre et de la mesure, parmi ces rares et enviables «gens de l’isthme». Tout est équilibré́ et mesuré dans l’attitude d’al-Khalifa, ses actes, ses paroles ainsi que l’image qu’il dégage, comme l’a si bien explicité Cheikh Ahmed Tidiane SY Maktoum (Khoutawâtuhû, Kalimâtuhû, Lahazâtuhu …).
Sa posture est finalement le symbole de ce trait d’union entre le temporel et le spirituel sans qu’aucun des deux ne déborde sur l’autre ni n’en phagocyte un seul pan. Son calme perturbant n’était pas celui du taciturne ou inaccessible tyrannique les disciples n’osaient approcher, mais celui d’un homme simple dont le charisme (Hayba) rassurait plus qu’il n’apeurait.
Pour ceux qui l’ont approché, l’imposante présence de cette rigoureuse personnalité́ avait quelque chose de rassurant. Cheikh El hadji Mansour SY Malick aborde cet aspect de son illustre frère, disposé, accessible mais intransigeant lorsqu’il s’agit de défendre les principes : une attitude dictée par le legs qu’il tenait à préserver « Aqâmabi-azmihiwa sawâbihukmin, Kawâlidihifa-ahsabahâ mubînâ » disait de lui Cheikh El Hadji Mansour SY, communément appelé́ « BalKhawmî », l’homme à la poésie inimitable.
Un joyau, une perle rare comme la Tarîqa Tijâniyya ne pouvait se passer d’armure comme les Rimâh d’El Hadji Omar perpétuant les enseignants d’Abul Abbâs. L’héritage était tellement lourd et la valeur incommensurable que le garant, après Maodo, était armé de toutes les qualités qu’exigeait la charge.
Les personnes de notre génération ne l’ont connu que parle peu d’anecdotes que son admiratif entourage a transmis, tellement l’homme n’était pas celui des faits divers qui rendent poussiéreux les parcours relatés de bien des figures du passé. Mais, étrangement, nous parlons, encore de Serigne Babacar SY comme d’un contemporain. Son absence physique, avec sa disparition il y a plus de 60 ans, ne fait qu’accentuer sa présence dans le cœur d’une jeunesse qui s’identifie à lui.
Serigne Cheikh Tidiane SY avait bien raison de se demander si une telle figure qui, durablement agît dans les cœurs, pouvait être parmi les absents « Afaghâba mansakana-l- qulûba Khalîla ?». Sokhna Fatoumata Cissé́ SY a su trouver les mots justes dans son beau poème dans le quelle les adresse à Serigne Babacar SY en ces termes « Arbre de vie de la savane Tidiane, à tes branches solides nous resterons toujours accrochés ». Voilà̀ exprimé tout l’état d’esprit des jeunes qui, tous les jours, pleurent celui qu’ils n’ont jamais vu !
Mais ce qui est inouï est l’exemplarité de la conduite, entourant la personnalité de Cheikhal- Khalifa, et cette manière dont il incarnait le bouclier pour parer à tout ce qui visait à nuire à l’islam. Une des voix Tijânies les plus autorisées de tous les temps, Cheikh El Hadji Abdou Aziz Dabakh, avait, lui aussi, choisi de le présenter sous ce jour (Sy yaay fadjal Diné ay daanam té niepp lawar). Serigne Babacar SY est l’une de ces figures dont l’Islam s’enorgueillit, se dressant contre toute corruption des valeurs et des enseignements originels.
Cheikhal-Khalifa, c’est aussi le symbole de la modernité́ de Tijâniyya dans le sens d’un enseignement utile et constructif sur le champ du temporel qui n’a jamais entamé la profondeur et la densité́ spirituelle de cet érudit doublé d’un pédagogue paradoxalement peu loquace.
En évoquant Serigne Babacar SY, il est, sûrement, préférable de se situer sur le terrain d’une philosophie de vie que sur celui de la pure biographie. Sachant qu’aucune parole, même au risque d’une excessive prolixité́, ne saurait épuiser tout le sens de son action ni tous les aspects de sa personnalité́, le choix s’impose d’évoquer plutôt une attitude, d’esprit ou simplement un esprit.
Puisque, comme l’a si bien dit Cheikh El hadji Abdou, il est permis de lui adjoindre tous les qualificatifs s’exprimant la vertu dans son essence avec des superlatifs absolus, à quoi bon a lors s ’étendre dans la description du communément admis ? Qulmâta shâ ’umin -al- amdâhi moola komay ! (Dis ce que tu veux dans son apologie, tu y es autorisé !) s’était exclamé Dabakh Malick !
Si d’aucuns conçoivent que c’est dans le silence que s’entassent tous les bruits, celui de Serigne Babacar SY, loin d’être complice ou lâche, arrivait à lever toutes les équivoques tout en inspirant bien des éloquences. La rareté́ de son discours qui ne lui enleva son efficacité́, ainsi comprise, on aura perçu le sens de l’enseignement Cheikhal-Khalifa. Il est incontestablement cet éducateur inégalé, ce pédagogue hors pair qui aura réussi un défi purement Muhammadien : la pédagogie par l’éthique du comportement. Quel meilleur modèle pour une jeunesse faisant face à de grands défis dont le principal, et non des moindres, est de perpétuer et de vivre les enseignements de Tijâniyya ?
Seydi Ababacar SY est le premier khalife d’El Hadji Malick SY, initiateur du « gamou » au Sénégal. Né en 1885 à Saint-Louis, le saint homme amené́ à bien l’héritage de son défunt père de 1922 à 1957. Affectueusement appelé́ par les disciplines « Borom Bonnet carré bi », Serigne Babacar Sy était l’un des plus grands érudits de sa génération.
Fils de El Hadj Malick Sy et Sokhna Rokhaya Ndiaye en 1885 à Saint-Louis, Serigne Babacar Sy est le premier khalife général des Tidianes. Après avoir fait ses humanité sà Saint-Louis, où il apprit le coran et la charia, il devient le plus grand savant de sa génération.
Un fait qu’il mit en œuvre à travers plusieurs poèmes sur le prophète (PSL), sur Cheikh Ahmed Tidiane SY, fondateur de la « Tijâniyya » et sur son père El Hadj Malick Sy.
Au Sénégal, Serigne Babacar Sy était également appelé Serigne Mbaye Sy. Il est le premier marabout apporté le titre de khalif général de la Tijâniyya. De son magistère, il a toujours défendu avec dévouement, trois choses : l’islam, la tarikha Tidiane et les « dahiras », dont il est l’initiateur en 1932.
Les « Dahiras » sont des entités à vocation éducationnelle, de solidarité́, d’entraide, de fraternité́ en Islam qui, de nos jours, sont des milieux de culture, d’éducation et de formation islamiques. Cette approche a vite fait de s’imposer comme un outil performant au service de l’Islam au Sénégal et ailleurs. Le premier mis sur pied s’appelait « Dahiratoul kirâm tidianiya ». Donc, c’est à lui que toutes les confréries doivent cette trouvaille qui a rapidement fait des adeptes.
Papa de Serigne Mansour Sy Borom Daaradji et de Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Makhtoum, Serigne Abdou Aziz Al Amine l’actuel khalif, Serigne Babacar Sy était également réputé́ comme étant un grand savant mystique. L’on rapporte qu’il répondait à certains de ses disciples qui évoquaient son nom dans leurs prières.
Nourrie de culture du raffinement et de la délicatesse en grand Saint-louisien de naissance, Serigne Babacar Sy était pour les disciples, l’homme de la situation. Ouvert d’esprit et sur son monde, mais ferme dans ses principes et la défense de la Tijâniyya.
Il a tellement marqué son Khalifa que les générations successives qui ne l’ont pas connu en font pourtant leur modèle spirituel. Le 25 mars 1957, Serigne Babacar Sy est rappelé́ à Dieu, à son domicile de Tivaouane, à l’âge de 72 ans. De tous ceux qui ont visité́ son œuvre, le témoignage reste le même. « Serigne Babacar Sy était une fin lettré, un poète au talent rare, un spécialiste de la Tajwid (bonne diction en lecture coranique) et un Tafsir (exégète)du Saint-Coran », disent-ils en chœur.
Par une nuit à Saint-Louis , alors qu’il était dans une chambre en compagnie de Ibnou Araby Ly, un saint de la confrérie Khadrya, Serigne Babacar fut en proie à des convulsions intenses, au point d’inquiéter son ami. Après avoir retrouvé ses esprits, il se confia à Ibnou Araby Ly : «Le Tout Puissant vient de me faire connaitre les 100 noms qui renvoient à Ses attributs. Il m’a demandé d’en choisir Un et j’ai choisi le nom de Baacitou. » Lorsque son interlocuteur lui demanda la signification du nom, Serigne Babacar lui répondit ceci : « Mon rayonnement sur le monde visible sera plus vif aussi longtemps que je serai dans le monde intelligible. »60 ans après son rappel à Dieu, Serigne Babacar Sy (Rta) est plus que jamais logé dans les cœurs et esprits de plusieurs générations de fidèles de la confrérie Tidjane.
« Je m’appelle Babacar » Le mystère qui entoure la dimension ésotérique de Serigne Babacar Sy fut levé par deux(02) lieutenants de El Hadji Malick Sy qu’il avait chargé de faire des retraites divinatoires sur ce qu’il adviendrait de son union avec Rokhaya Ndiaye. Après avoir effectué la mission qui leur était assignée, le moment était venu d’en décliner les contours
« J’ai pu observer une chaîne aux maillons dorés, qui relient le ventre d’une jeune fille au ciel. Il m’a été donné de savoir que la fille en question est une certaine Rokhaya Ndiaye, mais aussi que la chaîne symbolise son enfant, qui aura pour nom Ababacar», lui confia-t-il.
A sa suite, Amadou Barro Ndiéguène lui rapportera ce qu’il avait observé : « J’ai vu une jeune fille du nom de Rokhaya Ndiaye . Elle aura un fils dont l’érudition et l’estime qu’il a auprès du Seigneur seront d’une grandeur telle qu’on leur trouvera des éléments de comparaison avec les vôtres. Il faudra cependant que vous fassiez certaines prières pour la garder aussi longtemps que vous voudrez, car même étant dans les liens du mariage, elle ne manquera pas de faire l’objet de convoitises de personnes de toutes les races et de tous les horizons.»
Bien qu’ayant mesuré la portée des informations qui lui avaient été fournies et loin de s’extasier comme le feraient certaines personnes, El Hadji Malick Sy adopta cette lucidité propre aux grands hommes, jusqu’à ce que Serigne Babacar naquit, une matinée de l’an 1885, au moment où̀ il terminait son fameux « Taïssir ». Ce jour-là, Maodo reçût la visite d’un vieil ami, El Hadji Malick Wilane, qui habitait la localité de Médina Ndiol.
Après les salutations d’usage, El Hadji Malick lui annonça la nouvelle de la naissance de Serigne Babacar et lui recommanda d’entrer dans la chambre pour bénir le nouveau-né. Il ne fit pas trois pas que ce dernier se leva brusquement pour décliner son identité : « Je m’appelle Babacar.»
A l’image des Prophètes Muhammad (Psl) et Issa, qui ont parlé bien avant d’avoir vécu sept jours, Serigne Babacar a accédé au grade de « Fardiya », qui renvoie au verset de la sourate « Yaasine » dans la quelle Allah dit : « Quand Il veut que quelque chose soit, il Lui suffit tout simplement de dire sois, pour qu’elle soit. »
Khalifa Ababacar et le manteau de lumière descendu du ciel
Le jeune Ababacar n’a pas grandi comme les enfants de son âge. Pas de temps pour les activités ludiques de son âge. Lui, préférait s’abreuver à la source de la connaissance. Il n’a non plus jamais accepté que ses compagnons posent leurs mains sur ses épaules. Il ne tenait jamais de propos désobligeants.
Un jour, un homme qui était venu voir son père se plaignit de ses sautillements : « Qu’il est turbulent votre enfant! » Serigne Babacar se tourna vers lui et réagit : « J’ai coupé le cordon qui te liait à la voie Tidjane. » Sur pris et as sommé par de tels propos, il fixa El Hadji Malick pour chercher un rempart après avoir promené partout son regard.
Ce dernier lui fit cette recommandation : « Il faut t’excuser avant qu’il ne soit trop tard, car je connais Ababacar. » Ayant réalisé que l’enfant qui venait de lui parler n’était pas comme les autres, il ne se le fit pas dire deux fois. A l’âge de la scolarisation, il fut d’abord confié à un marabout appelé Serigne Malick Sarr, premier grand disciple de Seydi El Hadji Malick Sy et père de Serigne Mounirou Sarr.
Il avait le privilège d’être l’homme de confiance chargé de veiller sur sa famille lors de son pèlerinage à La Mecque. Il était également son gendre, car il avait pour épouse Sokhna Fatoumata Sy, fille ainée d’El Hadji Malick Sy. Puis ce fut autour de son oncle, El Hadji Mor Khoudia Sy, établi à Mbirkilane de prendre la relève. Il lui apprit l’écriture et les différentes matières de lecture du Saint Coran, dont le « Tajwid et le Warsh ».
Très vite, Ababacar se distingua par ses facultés exceptionnelles de mémorisation du Saint Coran, son intelligence, sa finesse d’esprit, sa belle voix et ses prédispositions mystiques. On raconte qu’un jour, au moment où il était plongé dans ses retraites, El Hadji Malick vit venir ses deux fils, Serigne Babacar et Sidy Ahmed.
Ce dernier pleurait à chaudes larmes. Lorsqu’il lui demanda pourquoi il était dans cet état, Sidy Ahmed lui donna cette réponse : « Lorsque Babacar et moi étions dans la brousse, j’ai vu venir du ciel des anges qui l’ont recouvert d’un manteau de lumières et ils ne l’ont pas fait pour moi. » Seydi Ababacar commença à Tivaouane, sous la surveillance de Seydi El Hadji Malick Sy, à recevoir ce qu’on pourrait appeler une éducation de l’âme.
La retraite de 1111 jours et la rencontre avec Cheikh Ahmed Tidiane Chérif.
Son éducation achevée, Seydi Ababacar se fixa d’abord à Rufisque, sur ordre de El Hadji Malick, qui y comptait de nombreux fidèles . Serigne Babacar y avait pour mission de représenter son père, d’enseigner le Saint Coran, le Droit musulman et les principes de la confrérie. Aux uns, il transmettait le « wird » et bénissait les autres.
Il y reprit également sa vie mystique, caractérisée par de longues retraites en brousse et dans sa chambre. Ses déplacements le menèrent aussi à Joal, où il accrut le nombre de sérères ayant embrassé la religion sous la direction de son père. C’est également à Rufisque que Serigne Babacar Sy a effectué sa fameuse retraite spirituelle de mille cent onze (1111) jours à l’issue de laquelle il fit la rencontre de son maître, Cheikh Ahmed Tidiane Chérif, en chair et en os.
Serigne Babacar Sy était aussi viscéralement attaché à la ville de Saint-Louis. Il avait l’habitude de dire à haute et intelligible voix : « Je préfère un camion rempli de fidèles en provenance de Saint-Louis vers Tivaouane que 100 camions venant d’autres localités à destination de Tivaouane. » Seydi Ababacar SY est dépeint comme un taciturne qui ne s’intéressait qu’aux questions qui le concernaient directement ou ayant trait à l’Islam et à la confrérie. Quelque prolixe que fut son interlocuteur, il s’en tenait toujours à la formule :
«Que Dieu te bénisse (Tabaraka Allahou).»
L’Accession au Khalifat
Son père alité, Serigne Babacar dû se rendre à son chevet. Arrivé à Tivaouane en 1922, Seydi Ababacar Sy trouva son père alité. Ce dernier lui confia en substance : « Il n’y a pas de repos ici-bas. Dieu t’accompagnera aussi longtemps que tu feras preuve de courage. Il semble que la tâche d’exercer le Khalifat te revient, puisqu’après moi, tu dois accomplir cette mission. J’espère bien que tu pourras l’assumer, car depuis ta tendre jeunesse, j’ai remarqué́ en toi trois qualités : le souci permanent de parfaire tes connaissances, ton attachement à la religion et un profond respect, assimilable à une crainte, à mon endroit. Tout ce que je regrette, c’est ta probité́ trop marquée vis-à-vis des autres et mon intime conviction est qu’on ne saurait jamais guider les gens en ayant cette attitude. »
Aussitôt après le rappel à Dieu de son père, intervenu le 27 juin 1922, certaines personnalités de la cité religieuse firent appel à Serigne Babacar, qui les trouva à la mosquée. « Il faut que quelqu’un succède à ton père et nous estimons que tu n’es pas la personne la mieux indiquée en présence des compagnons de ton père et de tes oncles ici présents », lui dirent-ils.
Les sages de Tivaouane soutenaient, à juste raison, l’argument selon lequel, la confrérie n’est pas un patrimoine familial, en rappelant la chaîne de transmission de Cheikh Ahmed Tidiane à El Hadji Malick et que même Mouhamed Ghali, successeur du fondateur de la confrérie, n’avait aucun lien de parenté avec lui, dont les petits-fils n’ont un quelconque droit à faire valoir pour le Khalifat.
En guise de réponse, Serigne Babacar leur apporta cette mise au point : « Vos suggestions sont trop tardives, les tenants de la confrérie ont fait de moi le successeur de El Hadji Malick Sy, 7ans avant sa mort. Et même si j’étais issu de Lamine Fandène (dignitaire et propriétaire terrien sérère demeurant à Fandène, une localité située dans la région de Thiès), je serais le Khalife, car c’est un décret divin irréversible devant lequel la nature humaine est impuissante. »
Poursuivant son propos, il se fit plus intransigeant : « En réalité, il n’y a que deux (02) chaises disponibles présentement. Celle du Khalifat et celle du disciple. Pour la première, j’y suis déjà̀ assis. Pour la deuxième, vous feriez mieux de vous y asseoir, degré́, avant que je ne vous y fasse asseoir de force. »
Les beignets de Mame Astou Kâne
Qui craint Dieu est craint par les êtres. A-t-on l’habitude de dire. Serigne Babacar Sy est le symbole vivant de cette vérité, par les actes de foi qu’il a posés durant son existence. Les 2 anecdotes suivantes le démontrent aisément. Généralement, les relations grands-pères et leurs petits-fils sont empreintes d’un amour réciproque. Celles qui existaient entre Serigne Babacar Sy et ses petits-fils ne faisaient pas exception à la règle.
Comme l’atteste le fait suivant : à l’image des dames d’un certain âge qui sont la plupart du temps enclines à avoir une occupation pour se dégourdir et retarder la phase tantre doutée de la vieillesse, Sokhna Astou Kane consacrait une partie de son temps à la vente de beignets, très prisés par les enfants du quartier.
Une après-midi, alors que Seydi Ababacar était tranquillement assis en train d’égrener son chapelet, le petit Mansour, qui est le fils aîné́ de Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, vint vers lui pour lui faire part d’un besoin pressant : « Grand-père, je voudrais que vous ouvriez le couvercle pour m’offrir des beignets », lui dit-il avec insistance, en désignant le bol de beignets soigneusement gardé dans un coin de la chambre. Serigne Babacar sourit de son sourire légendaire, non sans lui chuchoter d’une manière affective et docile : « Ha mon petit- fils, tu me demandes de faire ce que je n’ai jamais fait de ma vie : voler. » Il le prit par le bras et partit retrouver son épouse pour plaider la cause du petit-fils : « Les deux (02) mendiants que nous sommes voudrions que tu leur donnes en aumône des beignets », sollicita-t-il, à la grande surprise de Sokhna Astou Kane, qui n’en crut pas ses oreilles.